19/09/2011
Signataire(s) du communiqué
Lettre ouverte parue dans La Tribune datée du 12 septembre 2011, signée par 21 organisations environnementales,
agricoles et de santé publique à l'adresse de Dacian Cioloş, commissaire
européen à l'Agriculture
Monsieur le commissaire à l'Agriculture, en 1992,
la réforme de la politique agricole commune (PAC) a rendu visibles les aides
perçues par les différentes exploitations. Cette transparence a nourri un débat
sur les finalités de la PAC dans un contexte où la dimension sociétale de
l'agriculture s'affirme de plus en plus, clarifiant les choix à faire. Pour
faire simple : d'un côté la continuation d'un modèle agro-industriel lancé dans
une course en avant, qui s'adapte en corrigeant ses urgences les plus manifestes
; de l'autre, une agriculture agro-écologique qui valorise les milieux naturels,
les ressources génétiques locales, l'emploi. Quatre constats se dégagent :
1
- Les deux modèles sont en concurrence et leur cohabitation conduit le premier à
marginaliser le second et à en récupérer l'image tout en en altérant
l'essentiel.
2 - La prétendue supériorité économique du modèle industriel ne
repose que sur une forte mobilisation d'aides publiques , sur des interventions
d'urgence en cas de crise et sur la non-prise en charge des coûts induits pour
l'environnement et la santé. Sans ce fort soutien public, l'agriculture
industrielle serait en faillite et elle l'est effectivement pour tous les
exploitants qui "décrochent" du fait de charges trop élevées.
3 - Beaucoup
d'analyses estiment désormais que l'agriculture industrielle n'a pas vocation à
nourrir le monde contrairement à ce qu'elle prétend , et qu'elle contribuerait
plutôt à désorganiser les systèmes alimentaires vivriers.
4 - Produire en
ménageant l'environnement n'est pas une aberration économique , c'est au
contraire la meilleure assurance pour les agriculteurs eux-mêmes, les citoyens
européens et les paysans du monde entier. Depuis vingt ans, soumises aux
pressions des groupes d'intérêt, les réformes successives de la PAC sont restées
inachevées, notamment sur le plan de l'environnement. En 2010, votre arrivée au
poste de commissaire à l'Agriculture avait donné de l'espoir aux défenseurs
d'une vision plurielle et écologiquement responsable de l'agriculture
européenne. La large consultation lancée dès le printemps 2010 sur l'avenir de
la PAC permettait d'espérer un renouvellement des objectifs et des outils. La
place donnée à l'environnement, à l'innovation rurale, aux petites exploitations
donnait à croire qu'enfin la mesure des enjeux était prise. La communication de
la Commission européenne en novembre 2010 était ambivalente, mais elle annonçait
des perspectives de "verdissement" des aides directes, soit 80% du budget de la
PAC.
Or, le contour de la réforme se précise. Et ce qui commence à sortir
des bureaux de la Commission est plus qu'inquiétant. Le fameux « verdissement »
du premier pilier ? Du recyclage de mesures peu ambitieuses conçues pour ne
gêner personne et dont la seule finalité est d'afficher une légitimité
environnementale de la PAC. Des aides ciblées pour les exploitations les plus
favorables à l'environnement ? Mort-nées. Ce n'est même pas un statu quo, c'est
une véritable régression possible dans la mesure où les initiatives ambitieuses
existantes risquent d'être découragées et que certaines mesures sont
potentiellement dangereuses. De même pour la politique de développement rural :
on constate une forte dilution de la priorité environnementale et la règle d'un
pourcentage minimal du budget dédié à l'environnement est abandonnée. D'un rôle
d'aiguillon pour une majorité d'États, l'Europe devient l'acteur d'un
nivellement par le bas.
Nous souhaitons alerter les citoyens sur ce que la
Commission européenne prépare pour les années à venir. En jouant sur un
verdissement de façade - un "green washing" largement porté par une France
"prudente sur le verdissement", comme vient de le déclarer François Fillon -, la
réforme réussirait l'exploit de légitimer les aides aux exploitations agricoles
qui contribuent le plus à la dégradation de l'environnement et de maintenir en
marge du dispositif celles qui, au contraire, fournissent des biens
alimentaires, des paysages et un environnement de qualité tout en maintenant des
emplois . Un tel gaspillage de l'argent public est aussi irresponsable
qu'inacceptable. Nous sommes alarmés par les projets de réforme de la Commission
dans lesquels les fondements écologiques de l'agriculture sont niés au profit
d'une approche agro-industrielle. Il est de notre rôle de vous rappeler les
ambitions que vous avez portées initialement ; il est temps de soumettre aux
responsables européens des options crédibles et ambitieuses, répondant aux
attentes des citoyens et à même de préserver l'avenir de l'agriculture et des
agriculteurs. Parce que cette PAC qui jusqu'à présent n'a su préserver ni
l'emploi ni l'environnement, cela commence à bien faire.
Appel signé par
Agir pour l'environnement, BirdLife Europe, Bureau européen de l'environnement,
Chrétiens dans le monde rural, Dossiers et débats pour le développement durable
(4D), Fédération nationale d'agriculture biologique, Fondation pour la nature et
l'homme, Forum européen pour la conservation de la nature et le pastoralisme,
FNCIVAM, France nature environnement, Générations futures, Greenpeace, IFOAM EU
Group, Les Amis de la terre France, Ligue pour la protection des oiseaux,
Mouvement rural de jeunesse chrétienne, Pesticide Action Network, Réseau action
climat-France, Réseau Cohérence, Union nationale de l'apiculture française, WWF
France